24 janvier 2013

Barbe bleue - Amélie Nothomb


Publié en août 2012, "Barbe bleue" est le 21ème roman de l'écrivaine belge Amélie Nothomb, notamment auteure de "Hygiène de l'assassin", "Cosmétique de l'ennemi", "Le Voyage d'hiver" ou encore d'"Une forme de vie".

Saturnine, jeune femme belge de 25 ans, se retrouve dans une salle d'attente au milieu d'une quinzaine d'autres candidates convoitant une colocation à petit prix dans un hôtel de maître parisien.
Une femme l'entretient de l'étrange propriétaire et assure à Saturnine que celle-ci obtiendra l'appartement, tout comme les 8 femmes précédentes ayant mystérieusement disparu...
Comme annoncé, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, Don Elemirio Nibal y Milcar convie Saturnine à s'installer dans ses appartements, à la seule condition que la jeune femme ne pénètre jamais dans sa chambre noire.
Saura-t-elle résister à la tentation de céder à la curiosité ?

Amélie Nothomb reprend ici la trame du célèbre conte de Perrault mais en lui insufflant les petites touches personnelles qu'on lui connaît : noms à coucher dehors (Térébenthine ou Digitaline cette fois), goût prononcé pour le champagne dont on se souvient notamment dans "Le fait du prince", importance donnée à l'esthétique, rapport étrange et presque mystique au corps et à la nourriture le tout saupoudré d'une fine dose de morbide, situations incongrues, mise en balance de principes moraux établis.
Contrairement au conte (que j'ai relu dans la foulée) où la jeune femme tombait rapidement dans le panneau et réfléchissait ensuite ("Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ?"), Saturnine fait preuve de beaucoup plus de jugeote.
Esprit indépendant opposé au mariage, elle ne se laisse pas facilement conter fleurette malgré les multiples attentions de cet esthète espagnol qui lui confectionne une jupe en or, lui fait la cuisine et met à sa disposition un frigo à champagne (c'est du Nothomb hein, fallait pas s'attendre à du Martini blanc).
Devant la réticence et les interrogations de la jeune femme, Don Elemirio est conquis et trouve enfin en une femme une compagne intellectuellement à son niveau.
Agacée par la complaisance de cet homme dont le seul métier est de rester digne à plein temps, Saturnine ne se montre pourtant pas complètement insensible à son charme.
Les tentatives de séduction de l'un se veulent accueillies par l'impertinence de l'autre, chacun essayant de faire douter l'autre de sa moralité.

"Barbe bleue" se profile plus comme une suite de joutes verbales (qui aura donc le dernier mot ?) portant sur des questions mythologiques, esthétiques, culinaires et...chromatiques abordées de façon incongrue, que comme une discussion.
Au centre de ce face à face : la notion de jardin secret. Jusqu'où se situe le droit à la vie privée ? Est-il possible de conserver une vie intime en vivant sous le même toit ?
Les situations conflictuelles, intérieures comme dans "Biographie de la faim" ou "Cosmétique de l'ennemi" ou partagées avec un autre comme dans "Hygiène de l'assassin", abondent dans les romans de Nothomb et se déclinent bien souvent en de nombreuses phrases péremptoires prononcées par les adversaires.

" Tomber amoureux est le phénomène le plus mystérieux de l’univers. Ceux qui aiment au premier regard vivent la version la moins inexplicable du miracle : s’ils n’aimaient pas auparavant, c’était parce qu’ils ignoraient l’existence de l’autre.
Le coup de foudre à retardement est le plus gigantesque défi à la raison. " p.52
" Le rôle de l’art est de compléter la nature et le rôle de la nature est d’imiter l’art. La mort est la fonction que la nature a inventée dans le but d’imiter la photographie. Et les hommes
ont inventé la photographie pour capter ce formidable arrêt sur image qu’est l’instant du trépas." p.70

J'ai beaucoup aimé la façon dont Nothomb donnait une direction nouvelle à la personnalité de la cruche jeune femme du conte.
Je me suis délectée de la vivacité des échanges entre Saturnine et son logeur mais, là où le bas blessait parfois, c'est lorsqu'il me semblait être tenue à l'écart par ces mêmes échanges (les allusions bibliques par exemple), la frontière entre loufoque et intelligible s'avérant plutôt mince par moments.
Pas de déception cuisante mais pas non plus un coup de coeur pour ma part.
A croire que je ne connaîtrai plus jamais avec cette auteure l'engouement de mon adolescence.

D'autres avis : Argali - Mélusine - Lili Galipette - Mango - Sandrine - Géraldine - Brize - Stephie 

                                                                                    
 


22 commentaires:

  1. Il y a peut-être un âge, ou un état d'esprit particulier à cette auteur. J'aime beaucoup l'entendre parler de ses livres, elle me fait invariablement sourire, sans me donner forcément envie de la lire. Je n'ai pour tant pas été déçue par ce que j'ai lu d'elle, mais je pense qu'une trop grosse consommation me lasserait.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je me retrouvais beaucoup dans ses romans lorsque j'étais ado. Et puis j'ai grandi tout en continuant à la lire, mais avec moins d'entrain.
      Aujourd'hui je la lis encore de temps en temps, souriant de la retrouver à l'occasion comme une amie longtemps perdue de vue. Celui-ci ne me fera pas redevenir fan comme à l'époque mais m'a quand même fait passer un bon moment :)

      Supprimer
  2. J'ai beaucoup apprécié aussi. Sans être un coup de cœur, c'est quand même bien mené, juste un peu trop exercice de style parfois - mais brillant!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, je me suis parfois sentie à l'écart de ces échanges. Plutôt frustrant !

      Supprimer
  3. Je me doutais que ton billet sur ce roman serait plus intéressant que bien d'autres déjà lus ! Même si (tu le sais) j'ai beaucoup de mal avec Amélie, j'ai lu ton billet avec beaucoup d'intérêt à tel point qu'il n'est pas exclu que je me laisse tenter par ce roman.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci George :) Je souhaite que tu sautes le pas et que tu apprécies :)

      Supprimer
  4. Je trouve que c'est tout de même un des meilleurs de ces dernières années. Mais c'est vrai que je préfère aussi ces tout premiers romans.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'ai pas lu "Une forme de vie" et "Tuer le père" donc je ne saurais te répondre. Mais c'est sûr que j'ai préféré celui-ci à "Voyage d'hiver".

      Supprimer
  5. Saluons tout de même la performance : un roman tous les ans depuis 20 ans.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Même 3 par an je pense. Mais elle choisit de n'en publier qu'un...

      Supprimer
  6. Merci pour le lien!
    Je partage ton avis, et tes regrets. C'est vrai qu'on retrouve toujours la patte Nothomb sans retrouver le miracle Nothomb.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Peut-être est-ce nous, lectrices, qui avons changé ? :)

      Supprimer
  7. eh bien, tu me donnerais presque envie de relire cette auteur, abandonnée il y a déjà pas mal d'années !

    RépondreSupprimer
  8. J'ai trouvé que ce roman était un bon Nothomb. Je les ai tous lus sans les aimer tous. Celui-ci est abouti, intelligent, différent. Et comme toi, j'ai adoré la vivacité des échanges.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis contente de l'avoir lu et j'ai apprécié cette revanche sur Perrault :)

      Supprimer
  9. J'ai adoré le cru 2012 de Nothomb ! moi, je me délecte toujours autant, mais j'ai découvert Nothomb très longtemps après l'adolescence !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui je sais que tu es une grande fan et qu'Amélie te le rend bien ;)

      Supprimer
  10. Et bien moi tu m'as remise dans l'envie de la lire
    j'ai bien envie de reprendre un peu de Nothomb tout à coup ..merci !!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah mais de rien :) N'hésite pas à revenir ici dire ce que tu en auras pensé :)

      Supprimer
  11. Je n'arrive jamais à finir un Nothomb... Rien à faire...!

    RépondreSupprimer