16 janvier 2011

Premier amour - Joyce Carol Oates


Publié en 1996 et traduit en français en 1998, "Premier amour" est un court roman de Joyce Carol Oates, auteure américaine prolifique (à qui l'on doit notamment "Blonde" et "Délicieuses pourritures") également connue sous les pseudonymes de Rosamond Smith et Lauren Kelly.

Pour une raison qui lui est inconnue, la petite Josie quitte sa ville natale avec sa mère pour s'installer chez sa grand-tante Esther qui occupe la Maison du Révérend à Ramsonville.
L'atmosphère n'est pas des plus réjouissantes chez les Burkhardt. Le cousin de Josie, Jared Jr, jeune séminariste, est de passage pour l'été et fait l'objet de toutes les attentions de la part de sa grand-mère.
A peine tolérées dans la maison, Josie et sa mère sont priées de se tenir à l'écart du jeune homme. Mais un jour, alors que sa mère se fait de plus en plus absente, Josie croise cet étrange cousin au bord de la rivière...

A peine arrivée dans son nouveau lieu de vie, Josie fait la rencontre effrayante d'un serpent noir, épisode assez évocateur pour la suite de l'histoire.
Josie pose des questions à sa mère sur l'histoire de la famille mais les réponses se veulent toujours évasives.
Livrée à elle-même, la petite fille souffre d'une solitude alimentée par le silence qui règne dans la demeure ainsi que par l'absence et les non-dits de sa mère. Cette solitude se voit rompue par sa rencontre avec son cousin Jared Jr, un jeune homme de 14 ans son aîné qui tire profit de sa naïveté et de la fascination qu'il exerce sur sa petite cousine tout en lui faisant croire qu'elle est consentante.
Terrifiée à l'idée qu'il lui fasse de mal, Josie se résout à rester sage et à garder le secret qui l'unit à Jared Jr.

C'est la seconde fois que je lisais l'auteure et que je me retrouvais à éprouver une sensation de malaise frisant le dégoût.
Et pourtant quelque chose me poussait bien à tourner les pages, allant jusqu'à me faire douter de ma propre santé mentale...
Nul doute qu'à l'image de "Délicieuses pourritures", "Premier amour" évoque le même thème sombre de la rencontre entre le bien et le mal, de l'enfance pervertie et comme hypnotisée par l'ascendance malsaine de l'adulte.
Si le récit nous est livré par Josie, il arrive que celle-ci semble se parler à elle-même par l'intermédiaire du tu - évoquant ces moments de peur qui auraient du lui faire tourner les talons - ou que les propos de Jared se rappellent à son souvenir.

"Si tu pénétrais dans le marais, tu livrais ton corps. Tu n'étais plus toi-même, tu avais pour nom toi, elle, petite. Tu étais entourée d'imperceptibles bruits de succion. De grognements de crapauds. Pareils à des grognements d'homme - tu avais entendu des hommes grogner et ahaner, ahaner et grogner, il y a longtemps de cela, alors que tu n'étais pas censée écouter. Tu savais ce que c'était, déjà en ce temps-là : la pulpe animale cherchant à s'extraire de force de son carcan. Suintant, bouillonnant, jaillissant enfin.

C'est bien. Mais maintenant, il faut te laver. Jared rinçait rapidement tes doigts poisseux dans la rivière, Jared aspergeait d'eau ton visage moite de sueur. Tu avais envie de dire Je t'aime, Jared, mais il t'attrapait par la nuque et te plongeait le visage dans l'eau qui te laissait dans la bouche un goût de métal amer.

Jusqu'à ce que tu suffoques en battant l'air de tes bras pitoyables, comme une oie en pleine noyade, et qu'il te prenne en pitié. Oh, pour l'amour du ciel ! Personne ne va te tuer, pourquoi veux-tu que quiconque prenne cette peine? " p.57

Le recours aux adjectifs et aux symboles fortement connotés rend compte d'une atmosphère malsaine renforcée par les agissements de Jared Jr.
La religion tient une grande place dans le récit. Seule figure d'autorité masculine parmi les femmes, le professeur pervers de "Délicieuses pourritures" a cédé la place à l'homme de dieu, un jeune séminariste immoral et sans scrupules qui prend un malin plaisir à juger les autres et à infliger les pires châtiments, toujours prompt à évoquer l'expiation par des moyens pas très catholiques si je puis dire.
Si le résumé évoque un livre érotique, je parlerais plutôt de pédophilie tant il apparaît que ce "premier amour"(un énième titre ambigu dont l'auteure a le secret) est loin d'être idyllique...

J'ignore si le fait d'avoir aimé cette histoire fait du coup de moi quelqu'un de peu fréquentable mais il est certain que Joyce Carol Oates possède une finesse psychologique appuyée par un style percutant qui lui permettent d'installer une ambiance qui fait froid dans le dos, allant jusqu'à poursuivre le lecteur jusqu'à la dernière ligne.
Voilà pourquoi je suis bien résolue à poursuivre ma découverte de cette auteure :)

17 commentaires:

  1. "Petite soeur, mon amour" vient d'entrer dans ma PAL. Tout ce que j'ai entendu du ressenti des lecteurs ressemble au tien, ils se demandent au final si c'est bien normal d'aimer un livre aussi malsain... Elle est forte cette JCO de faire s'interroger le lecteur à ce point, de le plonger dans un tel trouble...

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  2. Bonjour ma belle ! j'ai repris ton lien !!
    Ce roman m'intrigue depuis pas mal de temps, mais ma PAL regorge de romans de Oates, et j'ai l'impression de ne rien lire ! je suis contente que ce roman te donne envie de poursuivre !

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  3. Oates est probablement l'une de mes auteurs préférés. Très certainement dans mon top 5. Une très belle plume au service d'une analyse aiguisée, sans concession de notre époque.

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  4. un auteur que je n'ai pas encore découvert... pour le moment ;) !

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  5. Je suis bien d'accord avec toi, il faut poursuivre la découverte de cet auteur ! Son écriture parvient à nous faire lire les situations les plus difficiles sans renoncer...

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  6. je dois encore la découvrir, mais j'en entends tant de bien qu'il faudrait que je m'y mette ;)

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  7. Je note, j'ai envie de découvrir cet auteur depuis longtemps et ce titre me tente bien !

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  8. ça ne me donne pas tellement envie, l'écriture de Joyce Carol Oates la rend à la fois détestable et fascinante, ça contribue au malaise ressenti pour ses histoires tordues je pense.

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  9. Moi je te trouve très fréquentable et si tu aimes JCO, tu es quelqu'un de bien ! Copiiiiiiiiine :-)

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  10. @Ys : oui c'est plutôt déstabilisant... Par contre je viens de finir un recueil de nouvelles de McEwan qui présente la même noirceur dans les thèmes abordés et la sauce n'a pas pris !

    @George : si ça peut te rassurer, celui-ci est très court (même pas 100 pages) ;) J'ai encore 3 titres d'elle dans ma PAL mais je lorgne déjà d'autres titres ^^

    @Choupynette : je n'ai pas encore été déçue mais j'attends d'en lire d'autres avant de l'intégrer dans mon classement ;)

    @Anne-Sophie : je te souhaite de lui trouver un peu de temps ;)

    @Marie : pour l'instant je n'ai lu que des romans courts, ce qui rend la chose supportable ;)

    @Niki : pour celui-ci je ne sais pas trop mais je crois que Délicieuses pourritures pourrait te plaire ;)

    @Irrégulière : chic alors, une convaincue ^^

    @Tiphanie : avec Oates, c'est quitte ou double mais il est certain que le fait d'aimer ses romans aux thèmes pourtant si sombres est plutôt perturbant ;)

    @Manu : héhéhé ^^ il me reste deux romans jeunesse avant d'attaquer les pavés ;) Mais comme tu me le disais à propos de Délicieuses pourritures, ses longs romans sont moins trash. Heureusement d'ailleurs, sinon ce serait impossible de tenir sur la longueur ;)

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  11. Pfff depuis le temps que je dois la lire ! Je ne connaissais pas ce roman, qui va venir - à cause de toi :) - agrandir ma LAL ! L'année 2011 sera Oates ou ne sera pas.

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  12. C'est une auteure que j'hésite toujours à lire, car il y a du très bon, et du beaucoup moins bon.

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  13. Voilà une auteure que je dois découvrir d'urgence tellement j'en entends parler.

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  14. je ne connais pas encore cet auteur, mais j'ai de plus en plus envie d'y remédier!

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  15. Ma maman me demande toujours où je vais puiser l'envie de lire des livres tels que les miens (trash et/ou déprimants), mais je vois que je peux faire bien pire... :))
    Je n'ai jamais été tentée de lire cette auteure jusqu'à maintenant...
    Si jamais on t'interne pour problèmes de santé mentale, nous partagerons la même chambre, Cynthia! :D

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  16. J'ai "Délicieuses pourritures" dans ma PAL, je ne sais rien de l'histoire, le titre m'a attiré... Ca sera mon premier de l'auteure...

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  17. J'aime beaucoup cet écrivain !!! ah oui, beaucoup :)

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