30 mai 2010

Délicieuses pourritures - Joyce Carol Oates


"Délicieuses pourritures" est un roman paru en 2002 et signé par l'écrivaine américaine Joyce Carol Oates, notamment auteure de "Confessions d'un gang de filles", "Blonde" ou encore "Les femelles".
Louvre, Paris, 11 février 2001. Il a suffi que Gillian Brauer tombe sur un totem aborigène pour que ressurgissent les souvenirs d'événements survenus 25 ans plus tôt.
Alors qu'elle y poursuivait ses études, le campus féminin de Catamount fut le théâtre d'une vague d'incendies d'origine mystérieuse doublés d'actes désespérés de la part de jeunes filles fascinées par le charisme hypnotique de leur professeur de poésie, Andre Harrow.
Depuis que celui-ci a décidé de leur faire partager publiquement leur journal intime, les élèves sont prêtes à toutes les confessions pour s'attirer les faveurs du maître et obtenir une chance de participer au stage que lui et sa femme sculptrice ne destinent qu'aux plus méritantes.
Gillian donnera-t-elle dans la surenchère pour se rapprocher du couple ?

"Délicieuses pourritures" apparaît comme un très bon choix de titre pour ce court roman aussi malsain qu'intriguant.
Présenté à la façon du journal de Gillian, il nous décrit sans concession 4 mois de la vie de la jeune fille et de ses camarades.
Sous le couvert de profils à peine esquissés, l'auteure brosse le portrait d'une masse de jeunes filles fragiles au passé violent, à la féminité encore hésitante, que le pouvoir impressionne, fascine et aveugle au point de consentir à servir de jouets laissés entre les mains d'adultes aussi manipulateurs que pervers.

" J'étais trop déroutée que pour répondre à ce baiser. C'était une réaction animale, irréfléchie. Comme si j'avais oublié que cet homme, qui me touchait enfin comme j'en rêvais depuis des mois, était Andre Harrow...
Un vertige me prit et, sans douceur, M.Harrow me maintint debout. "Gillian? Hé! Je plaisantais."
Il était furieux. Mais amusé. Il était assez mûr pour être amusé. Il m'empoigna avec fermeté par le coude et me ramena vers le campus. Il se montrerait protecteur, à présent.Il se montrerait abrupt et brusque. Il fournirait le récit, l'interprétation de ce qui s'était passé, ainsi qu'il le faisait dans ses conférences et ses ateliers.
"C'était un regrettable malentendu, Gillian. Rien de plus."
Comme si il m'avait frappée au lieu de m'embrasser." p.60

Au sein de sa salle de cours qui lui tient lieu de harem, Andre Harrow règne en père tyrannique auprès de ces jeunes esprits malléables qu'il entraîne insidieusement dans une féroce compétition.

" La tenue de notre journal se mit à nous obséder. Au point de nous faire négliger nos autres cours. Les ateliers de poésie d'Andre Harrow duraient plus que les deux heures prévues, souvent au delà de trois heures, et nous laissaient épuisées; ils avaient lieu le mardi et le vendredi, et devinrent peu à peu le point central de nos existences. L'atmosphère y était tendue, électrique. Aucun professeur ne nous écoutait avec la concentration, avec l'attention d'Andre Harrow. Certaines d'entre nous lisaient d'une voix forte et dramatique, d'autres d'une voix basse et timide. Parfois M.Harrow nous interrompait d'une exclamation : "Très beau" ou : "Relisez, s'il vous plaît.
Mais très souvent il trouvait notre travail décevant. "Gonflant", comme il disait peu élégamment. Il abattait son poing sur la table de TP, faisant trembler nos gobelets de café en polystyrène et nos stylos, comme s'il se sentait personnellement insulté.
Qu'un homme adulte, un professeur d'université, accorde autant d'intérêt au travail d'étudiantes de troisième année..., cela ne nous paraissait pas étrange et déroutant, mais merveilleux.
Ou, quoique étrange et déroutant, merveilleux tout de même.Au moins intéresse-toi à moi. Si tu ne peux m'aimer. Au moins ne m'ignore pas." p.68
Loin de se contenter de fermer les yeux sur les vices de son mari, Dorcas y participe activement et y voit là l'occasion de pimenter son art comme sa vie de couple.
J'ai trouvé ce personnage d'autant plus choquant qu'il s'agit d'une femme qui a l'âge d'être mère et à qui l'instinct protecteur fait cruellement défaut. Entre ses mains, les jeunes filles se voient déshumanisées, réduites à de simples poupées de porcelaine avec lesquelles elle prend plaisir à jongler. Et tant pis si certaines d'entre elles se brisent en cours de route.
Au milieu de cette folie ambiante, il y a Gillian, cette jeune fille intelligente dont on espère qu'elle sortira du lot pour sauver toutes les autres qui à force de jouer avec le feu, y ont laissé leur innocence.

Ce court roman m'a laissée sans voix. A maintes reprises, j'ai eu la sensation de suffoquer en même temps que je continuais de tourner les pages, impatiente que tout cela prenne fin, que ces jeunes filles soient délivrées de cette perversion en vase clos dont rien n'est jamais filtré à l'extérieur.
Une écriture qui sans se révéler crue fait montre d'une froideur saisissante mais diaboliquement efficace.
Une auteure que je serais curieuse de relire mais pas tout de suite. Je préfère laisser reposer le tout et respirer un grand coup avant de replonger...

D'autres avis : Ys et Delphine en ont parlé récemment ainsi que beaucoup d'autres chez BOB !

"Délicieuses pourritures" était une lecture commune avec Choco et ma première participation au Challenge Oates lancé par George.

25 commentaires:

  1. Ce livre semble t'avoir laissé une très forte impression! Je l'ai déjà sur ma liste!

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  2. C'est le roman qui m'a fait découvrir JCO et depuis, je suis fan fan !!! Ses plus gros romans ne sont pas oppressants et les plus fins sont plus "trashs". Essaie un plus épais pour voir la différence, je t'en prête un si tu veux !
    Heureusement que nos profs n'étaient pas ainsi, tu imagines ;-) J'ai le souvenir d'un en particulier, qui était loin de séduire les jeunes femmes mdr !

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  3. Je l'ai déjà repéré ...il me fait de l'oeil à chaque fois que je vais à la librairie !

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  4. Je n'ai pas été aussi secouée que toi, je crois, mis quand même sensible à l'atmosphère malsaine et décidée à continuer à découvrir cette oeuvre.

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  5. Il me fait envie ce livre. Je n'ai jamais ete decue avec cette auteure.

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  6. Il est vrai que l'ambiance est malsaine à souhait dans ce roman mais également tellement bien rendue ! J'ai aussi beaucoup aimé ce livre.

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  7. Comme tu dis, les romans de Oates sont souvent diaboliquement efficace. J'ai commenté ce mois-ci "La fille tatouée" dans le cadre du challenge. Je trouve qu'ils exercent souvent une sorte d'attrait-répulsion.

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  8. Comme tu dis, les romans de Oates sont souvent diaboliquement efficaces. J'ai commenté ce mois-ci "La fille tatouée" dans le cadre du challenge. Je trouve qu'ils exercent souvent une sorte d'attrait-répulsion.

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  9. Je pense que cela sera définitivement le livre qui me fera découvrir prochainement Oates !

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  10. Intriguant, j'avais découverte cette auteur avec un livre en VO dont j'ai oublié le titre exact (rape a love story ou quelque chose du genre) J'avais trouvé ça tellement dérangeant que je m'étais dis que je ne lirais rien d'autre et finalement récemment je me suis acheté sexy

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  11. Dans ma LAL depuis plusieurs mois. Ca a l'air vraiment tordu !

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  12. C'est un auteur que j'apprécie beaucoup et ce titre me fait très envie!

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  13. Je suis encore en train de me demander si j'ai vraiment envie de lire les romans de cet auteur. J'en entends généralement du bien et pourtant je ne suis pas trop tentée.

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  14. @Mango : effectivement ! Dans ce cas, il n'y a plus qu'à le lire ;)

    @Manu : il se trouve que ma prochaine lecture de Oates sera également plutôt mince. Mais j'en ai encore d'autres sous le coude (ma PAL est décidément une source inépuisable^^) comme "Confessions d'un gang de filles".
    Heu...parle pour toi, moi j'ai eu un prof sur lequel pesaient pas mal de doutes...

    @Clara : il se lit vite mais ne laisse pas insensible !

    @Ys : question de sensibilité et de moment peut-être aussi...

    @Pissenlit : c'est bon à savoir alors ;)

    @Restling : oui, il crée un étrange contraste au bout du compte !

    @Claudialucia : je vais lire ton billet dans ce cas ;)

    @Kikine : c'est dit ^^

    @Tiphanie : avec un titre comme ça, il fallait effectivement s'attendre au pire...

    @L'Ogresse : malsain, tordu mais pas de surenchère gratuite en tout cas

    @Pimprenelle : bonne lecture dans ce cas ;)

    @Emilie : peur d'être gênée par une ambiance malsaine?

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  15. Un vrai coup de poing que je partage ! Le dernier paragraphe de ton billet est particulièrement touchant, je m'y suis vraiment retrouvé, la froideur, la cruauté, la suffocation... Oates m'a définitivement conquise avec ce titre !

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  16. Ce livre a visiblement laissé une forte impression à de nombreuses lectrices ! Je le lirai peut-être dans quelques temps. Mais pour l'instant, j'ai envie d'un peu plus de légèreté...

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  17. J'ai arrêté avec Oates. Trop lourd pour moi.

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  18. Oates.. quel talent! je ne m'en lasse pas!

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  19. Je ne sais pas si je vais oser le lire, il a l'air difficile ! Mais il m'intrigue...

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  20. Je l'ai noté il y a un moment, je le lirai, c'est certain !

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  21. Un roman que je veux lire absolument !

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  22. @Pickwick : je la retrouverai avec plaisir, c'est certain !

    @Marie : à chaque moment de vie ses lectures. Dans tous les cas, ce roman ne laisse pas de marbre !

    @Theoma : trop tôt pour le dire de mon côté. Mais effectivement, si les sujets sont tous aussi graves, je pourrais avoir ma dose moi aussi...

    @Choupynette : je suis prête à retenter en tout cas!

    @Zorane : intriguant, il l'est ! Bonne lecture ;)

    @Radicale : Difficile en raison du sujet je suppose? Certes, oui...Mais comme le sujet est très bien amené, la lecture ne souffre d'aucune interruption.

    @Stephie : il se lit vite mais ne s'oublie pas pour autant !

    @Liliba : je comprends, ça faisait un moment qu'il me tentait !

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  23. Je suis impatiente de le lire! Il traîne sur ma PAL depuis quelques mois...!

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  24. Quand je relirai Oates, je crois que c'est celui-ci que je prendrai... tout me tente dans ce roman... le résumé et les réactions!

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